Qui ne s’est jamais demandé si son ex n’est pas un être extra-social, extra-intuitif, extra-lucide ? Un être doté d’un pouvoir tel qu’il est capable de sentir lorsque vous avez enfin arrêté de penser à lui et que vous vous apprêtez à vivre une nouvelle histoire d’amour ? Sur cette question, aucun doute n’est levé, le mystère reste entier. Reste à savoir comment il va se manifester… !

C’est la petite histoire d’Aure.

Nous la trouvons en acrobatie sur sa baignoire, se préparant de près à passer une agréable soirée. Parce que ce sera le grand soir. Elle va enfin découvrir le coquet appartement dans lequel vit son nouvel amoureux. Prometteur agent immobilier, il l’a draguée à coup de sourires lavabos et de coupettes ultra-bulles en lui vantant les avantages en nature de son métier d’avenir.

Sortant d’une histoire d’amour qui l’a mise KO, Aure s’est promis que cette fois, elle ne cèderait pas à l’emballement du cœur. Elle s’y est ménagé un espace de ouate et était plutôt fière d’elle. Le timing était bon. Elle avait suffisamment attendu pour pouvoir se laisser aller aux promesses d’un troisième rendez-vous. Et c’est confiante et pleine d’allant, qu’elle sonne à présent à la porte de son prétendant.

Bruno a du flair. D’habitude grand adepte du style minimaliste se reposant sur ses acquis, il a pour cette fois décidé de mettre de la douceur dans sa soirée. Après un apéro gourmand arrosé au mousseux, il s’attarde à faire découvrir à sa belle les pièces maîtresses de son appartement. Pour les visites, Aure a le coup d’œil. Avertie par les quelques déboires amoureux qui ont jalonné sa vie, elle inspecte scrupuleusement les points stratégiques pouvant trahir la présence d’une femme dans cet espace de vie. Lunette des toilettes relevée, une seule brosse à dent, pas de produit d’hygiène intime. Pas d’étui de capote ouverte sur la table de chevet. RAS. Soulagée et excitée, elle s’autorise enfin à laisser Bruno la peloter tout en la renversant sur ce couvre-lit que seul un homme aurait pu acheter.

Quand…

– C’est quoi ce bruit ? Sursaute-t-elle, la coupe en folie. – Lequel ? Bruno essaye malgré tout de continuer à l’embrasser. – On dirait que ça miaule. Tu as un chat ? – Non. Ça vient de l’extérieur, laisse. – Il y a quelque chose devant ta porte. Va voir !

Bruno traîne la patte jusqu’à l’entrée. Petit tressaillement en se penchant sur le judas. – Alors ? – Rien, c’est la voisine qui est passée. « Ouvre, je sais que tu es là ! ». – C’est ta voisine ça ? – Non, en fait c’est mon ex. C’est fou parce que ça fait des mois qu’on n’est plus en contact. Je l’avais complètement oubliée. Gémissements derrière la porte. « Ne me laisse pas comme ça, il faut que je te voie ». – Elle a déjà fait ça ? Chuchote Aure en rejoignant Bruno dans l’entrée tout en ajustant son soutien-gorge. – Non c’est la première fois. Mais ne t’inquiète pas, elle va partir. Viens, on va prendre un digo. Un peu schizophrénique la situation non ? Aure se sent mal. Elle est partagée entre la colère contre cette femme qui vient troubler sa petite soirée et les doutes grandissants quant à cet homme, qui prend tout ça un peu trop par-dessus la jambe. Elle choisit donc la vodka. Double. Bruno quant à lui semble de plus en plus excité. Il vide son verre fissa et la cale au fond du canapé. Qu’importe. Aure se laisse aller. Son ex aussi. Il y a définitivement un truc qui cloche ! Cet homme est tout de même capable de continuer à s’exciter pendant qu’une femme décape sa porte en couinant. Elle se débat pour se rasseoir. – Je suis désolée d’insister mais j’ai l’impression qu’elle gratte à la porte. Tu devrais lui parler. – Pas la peine, elle va se lasser. – Il faut que ça cesse !

C’est non sans appréhensions que Bruno se rend dans l’entrée et ouvre enfin la porte en remontant son pantalon. Petit conciliabule. Aure, prostrée, ne sait plus à quel saint se vouer. Que va-t-il se passer ? Son ex va-t-elle débouler en la traitant de tous les noms ? Vont-ils trouver un terrain d’entente pour qu’elle les laisse tranquille ? Et quand bien même. Ce mec en vaut-il le coup ?

Au moment même où elle se dit que c’est sûrement trop dommage de s’arrêter là, Bruno revient avec une belle brune. « Je te présente Roxanna ». C’est quoi ce merdier ? Il me fait quoi là ? Bruno les invite à s’assoir et propose une troisième tournée. La nouvelle arrivée paraît plutôt soulagée d’avoir enfin pu passer à l’intérieur quant à Aure, son cerveau cherche frénétiquement une ultime réponse aux questions qui s’y bousculent. Mais c’est quoi ce merdier ? Bruno piaille et semble plutôt content. Il incite les deux femmes à la discussion. Petit à petit, les langues se délient et au bout de quinze difficiles minutes qui en paraissent le double à Aure, la conversation a concrètement viré sur les histoires de sexe. « Ex-sexe », « ex-changisme », cela semble beaucoup plaire à Bruno qui, très à l’aise, finit par suggérer à ses invitées une petite partie fine entre amis. « Puisqu’on est là et qu’on est bien, pourquoi ne pas en profiter ? ». Non mais c’est quoi ce merdier ? Il faut quelques secondes au cerveau compoté d’Aure pour frayer jusqu’à sa bouche un « heu… Non merci ».

Bruno, vexé se mure dans le silence et part bouder dans la cuisine en se servant un whisky bien tassé, laissant les deux femmes en tête à tête. Roxanna minaude. Et Aure se sent soudainement coupable. Elle prononce un inaudible « je suis désolée » tout en rajustant ses vêtements et son envie d’y croire. Pourtant, elle avait bien exprimé sa vision du couple à Bruno dès leur première rencontre. C’est une fervente adepte de la monogamie. Particulièrement dans les débuts d’une relation. Mais là, elle se reproche d’être has-been. Pas plus tard qu’hier, elle a encore lu un article sur les relations sentimentales. Un arc-en-ciel de possibilités, uniquement pour ceux qui choisissent la voie du pluriel. Et pour les autres ? Un cercle vicieux de mariage et de divorce. Un sacerdoce en quelque sorte.

Pendant qu’elle médite sur ce qui lui est impossible pour l’heure, Bruno a pris les devants. Et c’est avec son manteau en bout de bras qu’il lui enjoint de quitter les lieux. Quelques secondes plus tard, l’appel d’air de la porte qui se referme lui fait voleter les cheveux. Ce n’est plus elle à l’intérieur. Et elle s’en veut de ne pas avoir su y rester. Mais à quel prix ?


De la culpabilité de ne pas consentir Le consentement. Ce thème d’actualité est exploré sous toutes les coutures. À partir de quand « non » n’est-il plus « oui » ? Et qu’en est-il de la culpabilité d’avoir dit non ? La peur de perdre l’autre, de le décevoir ou de ne pas être à la hauteur peut être tellement forte que même si nous arrivons à dire « non », nous culpabilisons. Ce sentiment est bien entendu renforcé par les retours négatifs que pourra nous faire l’autre personne. Aure par exemple a ses propres envies. En l’occurrence, une relation monogame. Et même si elle n’est pas opposée à toute autre forme de relation sentimentale, ce n’est pas ce dont elle avait envie ce soir-là. Et pourtant elle s’est sentie gênée de refuser la proposition de Bruno. Et l’attitude de ce dernier, au lieu de la conforter dans son choix, n’a fait que renforcer son sentiment de ne pas être suffisamment ouverte, « cool », légère. Et que serait-il arrivé s’il ne l’avait pas mise à la porte ?

EX-CHANGISME

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