Miroir, mon beau miroir…
Samedi 14h56

Ding…Dong… J’y crois pas, même leur carillon il fait plus classe. C’est la première fois qu’elle se fait cette réflexion, pourtant ce n’est pas la première fois qu’elle appuie sur ce bouton de sonnette. Celui-ci pourrait même directement lui faire une reconnaissance digitale tellement c’est une habituée. Seulement voilà, aujourd’hui, alors qu’elle rend une énième visite à sa meilleure amie, Marion n’a pas le moral. Attendant que l’un des cinq habitants de cette somptueuse maison traverse ses pièces interminables pour enfin venir lui ouvrir, elle se sent dériver, seule. Elle sait que dans même pas une heure, elle continuerait de dériver. Bon ok, ce serait plus classe, comme ce son de carillon, sur une énorme bouée licorne, un verre ou deux à la main, dans la somptueuse piscine de cette somptueuse maison, à écouter, au loin, les piaillements des enfants. Trois pour être précis. Tous blondinets, tous parfaits, à la coque, manque plus que les mouillettes ! Trois amours pondus à intervalle régulier, gentils, polis, chéris. Jamais un seul d’entre eux ne songerait à déféquer dans la piscine alors que Marion, elle, y rêve à l’instant.
Car ça y est, elle y est sur sa bouée. Précisions faites, elle n’a qu’un seul verre à la main et elle écoute nébuleusement le piaillement de Patrick, assis au bord de la piscine, sa dulcinée sur les talons. Il s’apprête à partir pour un week-end de surf sur la Côte Basque avec son club des cinq à lui. Un groupe de drôles d’oiseaux au clonage parfait : beaux corps, belles gueules, belles situations, belles femmes, beaux enfants, même passion : le sport et ses dérivations. Sa mâchoire carrée claquette des sons lointains de vagues de deux mètres, de matériel professionnel et de stage de perfectionnement tandis que Marion ferme les yeux sur cette dernière image : son amie Lorène, allongée sur le rebord de la piscine, la tête portée par les cuisses de son mari. De sa main droite, elle caresse l’eau fraîche, de l’autre, elle pince malicieusement le menton de Patrick jusqu’à ce qu’il la ferme pour éclater de rire.
Mon Dieu mais que m’arrive-t-il s’interroge Marion alors que ses paupières se serrent de plus en plus fort. C’est quoi ce sentiment qui brûle mon estomac presqu’autant que l’alcool qu’il y a dans mon verre. Est-ce de la jalousie ? Ou plutôt de l’envie.
Avant de rendre visite à ses amis, elle venait tout droit du cabinet de sa psy où elle avait évoqué cette tristesse de voir les gens autour d’elle construire, être heureux en couple, en famille alors qu’elle restait éperdument seule. Elle se sentait la dernière des ratées, même pas capable de vivre une vie à deux. Et puis il y a Lorène et Patrick et leurs triples fantastiques. Pourtant jamais jusqu’à maintenant elle ne les avait envié. Eux, et tous les autres couples de la création. Eux et leur image. Les vagues ? Ils ne connaissent pas, sauf celles qui servent à surfer. Qu’en est-il de leurs bourdons, leurs galères, leurs nuits de chiales dont on se réveille groguit et les yeux bouffis, indécollables. Indécollables, comme cette image de perfection qui lui reste sur la rétine.
Dieu merci, Patrick s’en va, il faut bien accompagner les chérubins à leurs activités.
Petites confidences entre amies

« T’as faim ? » lui lance Lorène du bout de la piscine.
« Je meurs de faim, je n’ai pas déjeuné et ce petit cocktail mérite d’être épongé » lui répond-elle d’une voix poussant un peu trop l’exagération.
Le temps de manœuvrer sa bouée cornée et de rejoindre Lorène dans le vaste salon épuré, elle la voit arriver, un shaker à la main, secouant énergétiquement ce qui ressemblait à son pire cauchemar.
« Tient ma belle, ça va te requinquer » lui lance son amie en remplissant deux grands verres de sa mixture protéinée.
« Et qu’est-ce qu’on mange avec ça ? » l’interroge Marion. C’est sa réplique habituelle. Sachant pertinemment qu’elle n’obtiendrait jamais ni olives, ni saucisson, elle avait toutefois instauré cette petite habitude rhétorique, espérant que peut-être un jour, il y aurait quelque chose de fat dans cette maison.
Lorène éclate de rire en lui tendant son verre. « C’est un nouveau produit que mon coach m’a conseillé. Tu verras, c’est délicieux, on dirait un vrai milk-shake ». Elle savoure sa boisson pendant que Marion lorgne dans son verre. « Il y a pas de miracle en fait, tu mérites ton corps de Cindy Crawford alors que moi, je mérite de me battre avec ma culotte de cheval ».
« A propos de cheval, tu sais que ce produit est un véritable boosteur de libido », enchaîne Lorène en regardant dans son verre vide comme dans un télescope. Tu devrais te dépêcher de boire, je suis sûre que ça va t’aider à te dégoter un jules ».
« Un milk-shake protéiné boosteur de libido ? Ils savent plus quoi inventer pour vendre leurs cochonneries ces labos » répond Marion tout en avalant une gorgée avec un peu plus d’entrain.
« Je t’assure, ça marche. Il y a un acide aminé spécifique dedans, et je l’ai moi-même testé ». Clin d’œil appuyé de Lorène.
« Comment ça tu l’as testé ? T’as couché avec ton coach ? »
« N’importe quoi, tu sais que j’aime Patrick, jamais je ne le tromperai. Non, cette poudre a redonné du peps à mon couple ! »
« Ah bon ? Je ne pensais pas que vous aviez des problèmes avec Patrick ». Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, cette perspective ne ravit même pas Marion.
« Non, on n’a pas de problèmes. C’est juste qu’avec le temps, avec trois enfants, les déplacements de Patrick et mes migraines, notre activité sexuelle était un peu en berne… »
« Ça veut rien dire en berne, vous ne faisiez plus l’amour du tout ? »
« Ben, disons que parfois, il nous arrivait de ne pas le faire pendant trois ou quatre mois »
« Ah oui quand même ! Bon ben en même temps, vis ma vie de célibataire » Marion lève son verre !
« Après, même quand on faisait l’amour, je ne trouvais plus chez Patrick ce désir qu’il avait pour moi avant. Tout était différent… Lorène s’arrête un instant, les yeux dans ses souvenirs… Mais figure toi que depuis qu’on prend tous les deux cette poudre après le sport, on n’arrête plus. Patrick est redevenu mon étalon du début. Tendre, attentionné, franchement ça n’a jamais été aussi bien depuis des années ! »
« Arrête, je vais vomir ma bouillie. » La moue de Marion en dit long. « Bon je vais m’y mettre alors, tu m’en ramèneras une boîte de ton club de sport ! Il faut combien de temps pour que ça agisse ? »
« Alors je sais pas, en tout cas pour nous, ça fait six mois de sur-activités ! »
Elles rient en trinquant de leurs verres vides.
Trompée en trois actes

Mardi 7h02.
Dring, dring, driiiiinnnngggg. Cette sonnerie ne susurre rien de sexy à l’oreille bourdonnante de Marion. Elle tâtonne grossièrement à côté de son lit et trouve enfin son portable, après avoir fait valser quelques objets. Le temps d’enlever sa boule Quiès et la voilà toute ouÏe pour son amie Lorène, à la voix fatiguée.
« Lorène ? Je sais bien que la grasse mat c’est pas dans votre culture de couple sain dans un corps sain, mais quand même, tu pourrais attendre 9 heures pour m’appeler ! » Un long soupir remplace la réplique cinglante à laquelle elle s’attendait.
« Lorène, qu’est-ce qu’il t’arrive ? »
« Patrick me trompe depuis des semaines » entend-elle d’une voix blanche.
« Bon ok, bouge pas, il me faut un café ! ».
Le bruit du percolateur couvre presque totalement la voix de Lorène, lancée dans son récit en trois actes :
Acte 1 : la veille, alors que la nuit semblait douce et prometteuse, les enfants casés chez leurs grands-parents, elle s’approchait de Patrick, vêtue d’une nouvelle nuisette qui aurait pu être directement vendue en kit avec la poudre protéinée. Elle avait bien remarqué qu’il était en pleine visio WhatsApp, mais elle s’en fichait. Elle se disait que c’était certainement l’un de ses collègues. Sauf que là, elle entendit se rapprocher la voix d’une femme. La voix d’une jeune femme. La voix minaudeuse d’une jeune femme. Elle s’est arrêtée à quelques mètres à l’arrière du transat sur lequel son mari était installé. Elle était dans le noir. Tout ce qu’elle entendait lui confirma en quelques secondes le pressentiment qui lui avait serré le cœur juste une minute avant. Son corps tétanisé la fit hurler.
Acte 2 : Les cris, les pleurs, la violence des mots, la violence de l’imagination.
Ils ont passé la nuit dans leur immense salon, à tourner en rond, à se bousculer, à laisser leurs nerfs à vif en contre-coup sur le canapé. A sa demande, Patrick lui a tout raconté, tout, depuis le début. Il l’a juré, c’est la première fois. Elle s’appelle Ella. Elle est suédoise, elle a 24 ans. Oui, 24 ans, oui elle a 20 ans de moins, il en est conscient. Il l’a rencontré lors du premier week-end de surf qu’ils avaient organisé, lui et ses compères. Oui, ils sont au courant. Non, elle n’est pas une idiote, aucun d’entre eux ne l’a encouragé à continuer… Cependant aucun d’entre eux ne lui a ouvert les yeux lorsqu’elle les rejoignait, accompagnée d’amies, dans les différents spots où ils allaient surfer. Entre les deux, il allait la voir en Suède. Oui, ses fameux déplacements d’affaires. Oui ça fait six mois et des brouettes. Oui, six mois depuis lesquels leur intimité à eux n’a jamais été aussi épanouissante. Non, il ne pensait jamais à elle lorsqu’il lui faisait l’amour. C’était différent. Différent en quoi ? Il ne l’aime pas.
Acte 3 : Lorène a réclamé la même histoire une dizaine de fois. Elle a tracé et retracé toutes les allers et venues de Patrick, réécrit tous les détails qui auraient dû lui mettre la puce à l’oreille. Pourquoi n’avait-elle rien vu ? Ne voulait-elle pas le voir ou était-il si bon menteur, si bon joueur ? Elle ne le reconnaissait plus. Qu’a cette autre de plus qu’elle ? Elle voulait voir une photo. Pourquoi non ? Si c’est important ! Fait-elle mieux l’amour que moi, embrasse-t-elle mieux, a-t-elle la peau plus douce, les seins plus gros, le cul plus ferme ? Tout a basculé et pourtant… Avec le soleil naissant, ils se sont retrouvés, épuisés de toutes animosités. Ils ont une belle vie, trois enfants et encore tout un avenir à venir… Il a dit qu’il l’aimait, plus que tout. Qu’elle était sa vie. Il a quitté Ella devant elle, par visio WhatsApp, en raccrochant un peu trop brusquement pour cesser les pleurs. Elle lui a pris la main. « Tu es sûre que c’est ce que tu veux ? Tu ne veux pas prendre un peu de temps pour réfléchir à tout ça ? Je veux dire… Il a quand même eu une aventure pendant plus de six mois, c’est pas rien ! » Marion en est à son troisième café, assommée sur sa table à manger.

« Ecoute je suis vidée, de tout. De tout reproche, de tout regret, de tout doute ou questionnement. Je crois que l’on n’a jamais aussi bien discuté de toute notre vie de couple. J’ai l’impression que c’est une renaissance. »
Marion tourne dans sa cuisine.
« Oui enfin, une renaissance de 24 ans tout de même. Maintenant tu te sens comme ça parce que la nuit a été forte en émotions et que tu es totalement chamboulée. Mais qu’en sera-t-il après, quand toutes ces images te reviendront, quand tu t’apercevras que tu n’as pas de pare-feu pour les empêcher de ressurgir et qu’elles vont mettre le doute dans ta vie. Parce que c’est ce qui arrivera ».
« Ecoute, je sais que tu es mon amie, c’est d’ailleurs pour cela que je tenais à t’en parler mais je voudrais que tu acceptes ma décision, qu’on n’en parle plus. Je te jure, tout cela m’a libéré d’un poids, j’ai l’impression que tout a changé et que c’est positif. Mon couple et ma famille n’en seront que plus solides. Je te laisse maintenant, je vais m’allonger un peu ».
Clac du combiné. Ce bruit-là, Marion ne l’a pas trop aimé non plus. Elle pense à sa psy. A sa réponse lorsqu’elle lui parlait des gens heureux. Que signifie pour vous « être heureux ? ». Pensez-vous que tout le monde est heureux sauf vous parce qu’ils sont à deux ? Parce qu’ils affichent leur plus beau sourire sur le mur d’un réseau social ? Ne vous attardez pas sur cela, ce n’est que de la façade. Apprenez le bonheur dans vos petits riens, dans votre quotidien, dans votre vie, seule. Pour ensuite être heureuse à deux.
Elle attrape le flacon coloré de poudre protéinée et sort de la cuisine. Derrière elle s’abat le couvercle de la poubelle.
Trompée un jour, trompée toujours ?

Vendredi. 12h30.
Un mélodieux carillon annonce l’entrée de Marion dans l’agence immobilière où Lorène travaille à quart temps, « pour ne pas perdre le lien social ». Cela fait seize ans qu’elle fait partie des murs. Même si sa présence a exponentiellement diminué au rythme de ses grossesses,- vingt-cinq pour cent par enfant-, elle est très attachée à son job comme à son patron, Georges, la figure paternelle de sa vie.
Marion est passée la chercher pour déjeuner. L’estomac dans les talons, elle se rue vers le bureau de son amie lorsque des gémissements sourds la font stopper net. Heu… C’est quoi ce délire ? Ne me dit pas que… Elle tend l’oreille tout en se hissant sur la pointe des pieds et retenant sa respiration…
« Je suis désolé mais il était de mon devoir de te le dire. Comment j’aurais pu me regarder en face sinon ? ». La voix enfumée de Georges. Non mais c’est quoi ce délire ? Marion, incapable de rester deux minutes en apnée, déboule dans l’œil du cyclone. Lorène est recroquevillée sur son fauteuil, la tête enfouie dans ses mains, Georges planté à côté d’elle, les bras ballants et l’air penaud. Il semble soulagé de voir arriver du secours.
« Ha Marion, quelle bonne surprise ! » a-t-il tout juste le temps de bredouiller.
« Tu sais pas ce que m’a fait cette raclure de bidet ? ». Lorène est très en forme.
« Raclure de bidet ? Alors là je m’attends à tout. Vas-y, fais-moi rêver ! » Marion s’agenouille à hauteur de son amie.
« Georges l’a vu ce matin au marché, il était avec une jeune blonde, enceinte jusqu’aux yeux la salope ».
« Enfin, pas vraiment jusqu’aux yeux », se risque Georges comme si ça allait minimiser l’annonce, « je dirai qu’elle en est au début de ses quatre mois ».
Quatre, c’est le nombre d’yeux qui l’ont fusillé sur place.
« Bon, je vous laisse en discuter entre femmes… » Le soulagement dans la voix et une disparition expresse.

« Oh mon Dieu Marion, comme je suis idiote, j’ai tellement honte ».
« Honte ? Non mais tu plaisantes j’espère, c’est Patrick qui te ment, te manipule et te trompe et c’est toi qui culpabilise ? Typique réaction féminine. Dans deux minutes, tu me demandes ce que tu ne lui as pas apporté pour qu’il décide d’aller voir ailleurs. S’il te plaît Lorène, reprends toi et pense à toi. Ressens ta douleur. »
De douleur, c’est un trou béant dans sa poitrine. C’est une pluie diluvienne. C’est un orage sans fin.
Les deux amies sont sorties du bureau deux heures un quart de discussion plus tard, Marion en état d’hypoglycémie avancée et Lorène avec la ferme et définitive intention de quitter son mari.Elle a convenu de lui parler le soir même et souhaiterait que Marion fasse partie du duo, pour lui donner du courage.
« Non vraiment Lorène, je ne dois pas être présente. C’est tellement intime. Tu y arriveras j’en suis sûre, tu seras forte ».
Elles se quittent sur le pas de l’agence, Lorène titubant jusqu’à chez elle et Marion partant en quête d’une boulangerie. Dix minutes plus tard, alors qu’elle hésite entre un club sandwich et une religieuse au chocolat, son portable vibre. C’est bien la première fois que cette vibration lui est très désagréable. Et pour cause. Patrick en dix-sept mots : « Je veux demander le divorce. Peux-tu être avec nous ce soir lorsque je l’annoncerai à Lorène ? ».
Ce petit con va lui couper l’herbe sous le pied ! Enfin, ça vaut le coup d’entendre ce qu’il a à dire et d’être là pour soutenir Lorène… Elle appelle son amie pour lui dire qu’elle a changé d’avis et qu’elle sera présente. Elle omet de lui parler du texto. Inutile de pimenter les choses. Un « OK » en réponse à Patrick et elle peut enfin s’alimenter. Elle a finalement opté pour le sandwich et la religieuse. Un plein de calories lui sera bénéfique vu la soirée qui l’attend.
Au cœur de la cible

Vendredi 20h08.
Le son prétentieux du carillon n’a même pas le temps de se faire entendre que Patrick accueille Marion un peu trop chaleureusement à son goût, lui qui d’habitude, lui accorde à peine un salut monosyllabique.
« Tu veux que je te débarrasse ? ». Il a son sourire charmeur. Faut le dézinguer.
« Heu…De quoi ? Il fait quarante degré à l’ombre et j’ai laissé le champagne à la maison. Ça aurait été de mauvais goût non ? »
« Hahaha Marion, tu as toujours un de ces répondant, je t’adore ».
Il nous fait quoi là le rat d’opérette, il essaye de me mettre dans sa poche ou quoi ? Peut toujours courir, Lorène est mon amie !
La voilà d’ailleurs qui les attend. Elle a joliment dressé la table du salon et… Oh surprise, il y a une bouteille de champ dans un seau transparent.
Elle nous fait quoi là l’amie ?
« Lorène, ça va ? » Marion s’approche d’elle pour l’embrasser. Bien que pâle, elle semble remise de ses émotions du midi.
« Oui, ça va bien, regarde. Je t’ai préparé un apéro : légumes à croquer et fruits frais ! »
« Houhou, c’est fête ! Que me vaut cet honneur ? » ronchonne Marion qui sent le vent tourner. Elle attrape un radis, histoire d’avoir un truc dans lequel croquer.
Les voilà tous les trois installés dans l’immense canapé blanc. Considérant la raison pour laquelle elle est là, Marion trouve Lorène et Patrick un peu trop rapprochés à son goût. D’ailleurs elle se rend compte qu’elle leur fait face. Seule, happée par le grand fauteuil blanc. Un sentiment étrange de solitude l’envahit tout d’un coup, comme lorsqu’elle se retrouve trop fréquemment dans des soirées où elle est la seule célibataire. Ce sentiment lui crochète le ventre. Elle tente de vivifier les paroles de sa psy : Ce ne sont que des apparences. Pensez-vous que tous ces gens soient heureux, juste parce qu’ils sont à deux ? Vous connaissez la vie de couple de certains de vos amis ? L’enviez-vous, juste parce qu’ils sont à deux ?
« Alors ? » Tente-t-elle en choisissant un champignon.
C’est Lorène qui se lance. Elle semble gênée.
« J’ai dit à Patrick que je savais pour sa maîtresse, qu’elle est enceinte et qu’ils se voient encore ».
« Je ne l’ai su qu’après l’avoir quittée, par téléphone l’autre jour. Nous ne nous étions pas vus depuis quelques semaines. Je ne savais pas. Lorsqu’elle me l’a appris, le jour où Georges nous a vu, j’ai été tellement surpris, tellement faible. » lui avoua Patrick d’un air implorant.
« Heu… Excusez-moi, je ne comprends pas trop là. Qu’est-ce qui se passe ? J’ai l’impression que vous passez tous les deux devant le juge. Je n’ai rien à voir là-dedans, je suis là parce que … »
« Qui veut une coupe de champagne ? » Lorène et Patrick ont quasi bondis en même temps de leur assise, coupant la parole à Marion.
« Non mais je rêve là, c’est quoi ce cirque ? » Cette fois elle se lève aussi de son fauteuil. Elle a envie de continuer, de leur dire que si elle est là, c’est parce qu’ils le lui ont tous les deux demandé pour être le témoin de leur séparation. Et là, elle a juste l’impression d’être celle qui empêche leur union, justement par son rôle de témoin qui sait tout. Elle a compris. Si elle veut rester et boire une coupe de champagne avec son amie, il faut qu’elle oublie. Mais elle n’en a pas envie.
Se révèlent tout d’un coup à elle les paroles de sa psy, qui jusque-là la berçaient d’abstraction.
Enviez-vous cette vie à deux, juste parce qu’ils sont à deux ?
« Lorène, tu peux me dire ce que tu feras tout le reste de ta vie, avec l’enfant de Patrick qui en fera désormais partie ? Et de là, en fera partie également cette femme, plus jamais elle ne sortira de vos vies ».
« On trouvera un équilibre. J’aime Lorène et je ferai tout pour qu’elle ne souffre plus jamais. ». Patrick a volé à la parole de sa femme en lui serrant fort la taille. Lorène défie presque son amie du regard.
« D’ailleurs tu ne peux pas comprendre, toi tu es célibataire et tu n’as pas d’enfants. » enfonce-t-il le clou du témoin gênant.
« Ok, je vais vous laisser à vos retrouvailles ». Marion lève le bras pour jeter un céleri branche dans l’assiette.
Alors que ses pas résonnent sur le marbre fraîchement vernis, elle se dit que finalement, il y a bien quelque chose de fat dans cette maison !
Pourquoi êtes-vous le témoin gênant ? Il existe au moins deux positions délicates lorsqu’un couple d’amis est en conflit et que vous en avez été le confident.
@distilleusedemots
La première : le couple se sépare et un choix crucial se prépare : « tu dois choisir ton camp ! » Fréquenter les deux, c’est de la trahison. En choisir un, c’est perdre l’autre.
La deuxième : le couple décide de surmonter cette épreuve et vous devenez instantanément le témoin gênant
Qui est vraiment le témoin gênant et pourquoi se retrouve-t-il dans cette position alors qu’au départ, il a simplement tendu une oreille attentive ?
Votre couple d’amis préféré est en conflit. Leur union est sur le fil du rasoir.
Pendant des jours, des semaines voire des mois, vous êtes le confident de l’un, de l’autre ou même des deux membres du couple.
Finalement, ils décident de se rabibocher et de se donner une nouvelle chance.
Et là, que vont-ils faire de vous ?
Vous avez toujours mis un point d’honneur à rester neutre et à développer une écoute bienveillante ?
Vous avez délibérément pris parti pour l’un ou pour l’autre et appuyé certains jugements ou critiques ?
Qu’importe, vous serez cloué au pilori et ceci pour 3 raisons : 1- La honte
Les membres du couple se souviennent honteusement de tout ce qu’ils ont déballé sur leur conjoint. Pour vous convaincre ou se convaincre ou vider leur sac, ils vous ont raconté toutes les mesquineries, les actes malveillants, les paroles blessantes de leur moitié à leur encontre. Ils ont peut-être même exagéré sur certains points, omis de préciser leur propre rôle dans l’histoire voire menti.
Et les voilà coincés, honteux de tout ce fiel déballé. Qu’allez-vous maintenant penser de leur être aimé ? Qu’allez-vous penser du fait qu’ils se remettent avec une personne ayant eu de tels comportements ? Ils se sentent jugés parce qu’ils jugent eux-mêmes leurs propres paroles.
Il faut vous éliminer. 2- La peur
Maintenant que savez que lors d’une dispute, loulou a bousculé chouchou en l’appelant « trou du cul » ou qu’il se masturbe lorsqu’il est anxieux, il est difficile pour le couple de se retrouver serein face à vous. En effet, que pourriez-vous faire de toutes les informations que vous avez engrangées durant ces temps de conflit. Ne pourriez-vous pas les déballer fortuitement au cours d’un dîner ? Ne pourriez-vous pas vous en servir le jour où vous en aurez besoin ? Vous tenez entre vos mains un trop lourd dossier. La crainte que celui-ci leur explose à la figure à n’importe quel moment est trop forte.
Il faut vous éliminer. 3- Le souvenir
On ne sort pas indemne d’une crise de couple. Si celle-ci a existé, c’est bien parce qu’il y a eu des difficultés. Or, en se donnant une seconde chance, le couple aimerait bien faire table rase du passé. Sauf que le passé, ils l’auront devant les yeux à chaque fois que vous vous trouverez avec eux. Vous allez représenter tout le négatif de leur conjoint qu’ils auront allègrement projeté sur vous. Vous leur rappelez une réalité qu’ils souhaitent oublier.
Il faut vous éliminer.
La solitude des apparences…
Les réseaux sociaux pullulent de bonheurs parfaits et de vies épanouissantes. Nous avons aujourd’hui pris suffisamment de recul pour savoir que derrière les écrans, les choses peuvent être beaucoup plus nuancées et que si ces derniers sont sensés créer du lien, ils renforcent au contraire, bien plus souvent le sentiment de solitude.
Heureusement, nous sommes dans la vraie vie et pour elle, point de faux semblants. Du moins c’est ce qu’elle croyait…
Chloé en est condamnée à se fondre sous le même vernis, celui d’une vie sans difficultés. Alors que son unique envie serait de boire un verre avec ses amies et que chacune déballe ses galères et partage ses peurs.
Pour Chloé, la vie réelle se transforme en grande toile virtuelle où l’image parfaite que chacun souhaite renvoyer enferme l’autre d’autant plus et ne créé que des solitudes. »« Mon amie Chloé est désemparée. Elle est à la tête d’une petite famille composée d’un mari et de deux garçons. Elle a arrêté de travailler afin de pouvoir se consacrer entièrement à la gestion quotidienne de tout ce petit monde et pourtant elle a l’impression de ne jamais être à la hauteur. Son cadet a récemment été estampillé hyperactif, son mari couve une dépression pluriannuelle et son chien fait de l’anorexie lorsqu’ils partent en vacances. Or des vacances, elle en a vraiment besoin. Seulement elle n’ose en parler à personne. Toutes les familles qu’elle croise se trouvent être si parfaites qu’elle se tait et entre dans la danse. Même sa meilleure amie affiche constamment son plus beau sourire. Alors que Chloé sait que ce n’est pas toujours rose chez elle non plus, elle essaye d’orienter la conversation mais rien n’y fait… Jamais le vernis ne craque.
